RWANDA - Petit pays, Gaël Faye
- Frederique Josse
- 12 oct. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 oct. 2024

Le paradis n’a jamais été fait pour durer. Gabriel, dit Gaby, vit dans un monde ensoleillé où les rires d'enfants se mêlent au parfum des manguiers. Un pays si petit qu’il semble hors du temps, hors des tragédies. Mais ce Burundi, qu’il aime tant, cache des ombres prêtes à dévorer son innocence. Et quand elles surgiront, ce ne sera plus un jeu d’enfant. Gaël Faye, dans "Petit Pays", nous offre un récit où l’enfance et la guerre se livrent un duel sans pitié. Et le vainqueur n’est jamais celui qu’on croit.
Gaby, l’enfant qui croyait en l’éternité
Le soleil brûle la terre de Bujumbura. Gaby, cheveux ébouriffés et mains pleines de terre, s’élance à vélo avec ses amis. Chaque jour est une aventure, chaque moment, un instant volé à la réalité. Mais sous ses pieds, la terre commence à trembler. "Petit pays, grande tempête." Les adultes murmurent. Des rumeurs de guerre, des conflits qu’il ne comprend pas. Gaby ferme les yeux. Il se raccroche aux jeux, aux rires, à la mangue qu’il dévore en oubliant le monde. Mais les rumeurs deviennent des coups de feu. Et un jour, ce n’est plus un jeu.
La chute est inévitable, mais elle arrive doucement, comme un poison qui s’infiltre dans les veines de ce "petit pays" qu’il croyait éternel. “Quand la guerre frappe à la porte, elle ne prévient pas.”
Le poison du silence
Quand Gaby comprend enfin, il est trop tard. Son père, distant, continue de s’occuper de ses affaires, comme si de rien n’était. Sa mère, Rwandaise, sent la catastrophe approcher, mais ne peut rien dire. “La guerre, elle la connaît. Elle a déjà vu ce qu’elle fait aux hommes, aux familles, aux pays.” Elle voit le même spectre qui a ravagé le Rwanda. Gaby, lui, sent que tout change, que les regards ne sont plus les mêmes. L’odeur de la terre après la pluie devient plus lourde. Le chant des oiseaux, moins joyeux. Et un jour, il n’y a plus de rires, seulement des cris.
Le Burundi explose. Les Hutus et les Tutsis s’entretuent. Les amis de Gaby se divisent, la méfiance s’infiltre dans chaque regard. Et dans sa rue, là où les enfants jouaient encore hier, il n’y a plus que des portes closes, des fenêtres murées. "Le paradis s’est effondré en un battement de cils."
L’adieu à l’innocence
Petit à petit, Gaby change. Il n’est plus cet enfant insouciant. La guerre l’a pris, comme elle prend tout le reste. “On ne survit pas à une guerre. On change. On devient un autre.” Le monde autour de lui n’a plus de sens. Ses amis se battent. Sa famille se disloque. Sa mère sombre dans un silence qui en dit long sur la douleur qu’elle porte en elle. Elle, survivante du génocide rwandais, est marquée par des blessures invisibles que même Gaby ne comprend pas.
“La guerre n’a pas de visage. Elle est partout. Dans les regards, dans les gestes, dans les silences.” Gaby comprend alors que même les jeux les plus innocents ne peuvent pas sauver ce pays. Ce "petit pays" qui n'est plus qu’un champ de ruines, où la terre elle-même semble saigner.
Zoom sur : La frontière invisible, un héritage colonial qui saigne encore
Les frontières de l’Afrique subsaharienne sont les cicatrices visibles d’une histoire douloureuse. Tracées à la hâte, sans respect des peuples qui y vivaient, elles ont fracturé des sociétés qui, autrefois, vivaient en paix. Au Burundi comme au Rwanda, les identités Hutu et Tutsi n’étaient pas des divisions ethniques, mais des distinctions sociales souples. Mais avec la colonisation belge, ces différences ont été cristallisées, rendues rigides et instrumentalisées pour diviser et régner.
Dans "Petit Pays", Gaël Faye montre combien ces frontières invisibles continuent de saigner. Elles ne sont pas seulement géographiques, mais mentales, psychologiques. Elles ont creusé des gouffres entre les gens, transformant des voisins en ennemis. Le génocide rwandais, tout comme la guerre civile burundaise, sont les conséquences directes de ces lignes tracées à la règle. Et aujourd’hui encore, ces blessures restent béantes, infligeant aux peuples de ces pays des souffrances qui semblent sans fin.
Informations sur le livre
Titre : Petit Pays
Auteur : Gaël Faye
Éditeur : Grasset
Date de publication : 24 août 2016
Genre : Roman
ISBN : 978-2246857334
Pages : 224
Contexte et succès :
Prix Goncourt des Lycéens 2016
Prix du Roman FNAC 2016
Roman autobiographique largement inspiré par l'enfance de Gaël Faye, se déroulant principalement au Burundi et évoquant les violences du génocide rwandais.
Best punchline
"Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis"
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