C O N G O - « Les petits garçons naissent aussi des étoiles », Emmanuel Dongala
- Frederique Josse
- 20 sept. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 oct. 2024

Avec son arrivée tardive sur Terre, en l'occurence dans un village perdu au cœur de la forêt tropicale congolaise, Michel a écopé du sobriquet « Matapuri », signifiant« tracasseries », dans le dialecte local. En réalité, faute de boulet, le jeune homme, narrateur du roman, est un ado génial et un peu barré de 15 ans, curieux comme son instituteur de père et crédule comme sa bigote de mère. Absolument jouissif, ce roman est un véritable voyage en absurdie. Car l'histoire personnelle narrée avec truculence par ce garçon prend racine dans le Congo des années 1980. Né le jour du vingtième anniversaire de l'Indépendance, Matapuri n'a de cesse de se faire rattraper par la politique, qu'il raconte avec ses yeux candides et malicieux. Son grand-père castagne un prêtre pour défendre la laïcité, son village est défiguré par la construction d'une ville éphémère à l'occasion du Comité central du parti, son oncle Boula-Boula rentre en politique grâce à sa tchache d'enfer et son noble diplôme en « agitation et propagande », montant en grade jusqu'à risquer la peine de mort pour complot contre son ex meilleur ami, « le Guide suprême, le guide éclairé, l'homme des masses, l'homme des actions concrètes ».
Matapuri au pays des pourris
Truffé de punchlines cocasses et de péripéties ubuesques, Emmanuel Dongala dépeint, avec un ton faussement naïf digne du Momo de « La vie devant soi » (Romain Gary), les travers de la société congolaise. Tout y passe : colonialisme et néocolonialisme, coup d'État militaire, « démocratie populaire marxiste », népotisme, corruption, absence de justice et de liberté, absorption des richesses par une élite toute puissante, importation massive de produits de l'étranger... Le tout balancé pêle-mêle comme des mini-scénettes avec les souvenirs des désagréments enfantins de Matapuri – sa lutte pour devenir un dur, ses premiers émois sexuels... Parmi les passages les plus jubilatoires, la campagne électorale complètement loufoque - 33 candidats, 78 partis vers une « démocratie prospère comme un palmier vigoureux ». Mais surtout, les meetings endiablés de deux dingos, le fétichiste Tâta Tollah et le savant Professeur P-75. Promettant à qui mieux mieux de détecter les femmes adultères pour stopper le sida ou de transformer le jus d'ananas en geyser de pétrole. Le procès de Tonton Boula-Boula vaut aussi le détour : le séduisant et affable personnage, pourtant auteur de la solution à la guerre du Viêt-nam, « n'a pas les couilles bien suspendues » face à cette parodie de purge stalinienne !
Conte initiatique et fable philosophique
Matapuri, avec son langage coloré teinté d'ironie, fait ainsi se superposer le portrait épicé d'une épopée politique chaotique et ses aventures personnelles, tout aussi fantasques. Mais le sublime de l'affaire, c'est que sous ce climat drolatique, jaillissent, de manière tout à fait imprévisible, des saillies philosophiques. Le père de Matapuri en est le principal pourvoyeur, cet humaniste incorruptible, ce savant un peu fou, qui « yoyote de la toiture » avec ses obsessions scientifiques et sa soif insatiable de connaissances. Lui-même professeur de chimie, Emmanuel Dongala nous régale de ses digressions sur le Pôle nord, les quantons et le théorème de Fermat, signifiant ainsi que seule l'éducation peut faire rempart à la folie destructrice des hommes. « La gloire a une trajectoire balistique. Il arrive un point où elle atteint son summum et après, irrésistible est sa chute ». Le grand-père en est un autre, avec ses airs de chaman de l'univers. « Tu sais, la vie, c'est de nombreux petits nuages gris dans un grand ciel bleu. Efforce-toi de toujours écarter ces nuages pour que le monde soit toujours un grand ciel bleu ». Au-delà de la satire, ce roman est un véritable conte initiatique et philosophique. Un remède à la mélancolie.
Zoom sur le Congo
Cinq ans de Macron, ça vous paraît long ? Essayez les 37 de Denis Sassou-Ngesso, président, patriarche, guide suprême, bref, Dieu du Congo Brazzaville depuis...1979. Surnommé - excusez la modestie - "Empereur" par ses homologues ivoiriens et guinéens, le Sieur de 77 ans, militaire de son état, a été réinvesti officiellement -et non élu, notez bien, le 8 janvier dernier, par sa formation politique, le Parti congolais du travail (PCT). Comme ironise fort bien le génial écrivain franco-congolais Alain Mabanckou, le petit pays d'Afrique centrale a installé la "normalité du pouvoir à vie dans la conscience des peuples". En 2016, déjà, lors de la précédente "réélection" de Sassou-Nguesso au pouvoir, l'intellectuel enjoignait la France de dénoncer cette "mascarade électorale". Blâmant au passage le jeu trouble de l'ancienne puissance coloniale, la France, et des compagnies pétrolières, dans le maintien au pouvoir de l'indéboulonnable, capable d'utiliser tous les moyens pour s'y maintenir, y compris la force. C'était en 2016. En 2020, cette saleté de virus semble avoir tout avalé sur son passage. Pourtant, à bien y regarder, rien n'a vraiment changé.
Sources : RFI, L'Express, Le Monde
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