C U B A - L'homme qui aimait les chiens, Leonardo Padura
- Frederique Josse
- 20 sept. 2024
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 oct. 2024

Dans L'homme qui aimait les chiens, l’auteur cubain Leonardo Padura livre un roman fascinant, à la fois dense et poignant, où la fiction et l’histoire s’entrelacent pour nous plonger dans les méandres d’une des plus grandes trahisons du XXe siècle : l’assassinat de Léon Trotski. À travers le regard de trois protagonistes — le révolutionnaire exilé, son assassin Ramón Mercader, et Iván, un écrivain cubain désabusé —, Padura nous offre une fresque historique saisissante, empreinte de mélancolie et de désillusion.
Une fresque historique à la croisée de trois vies
L’histoire repose sur trois trajectoires entrelacées : celle de Léon Trotski, leader bolchevique en exil après avoir été chassé par Staline, celle de Ramón Mercader, son assassin formé par le NKVD, et celle d’Iván, un Cubain hanté par le poids de l’histoire révolutionnaire. Le roman suit leur destin sur plusieurs décennies, dévoilant l’engrenage infernal de la révolution, la trahison et l’échec.
Dès les premières pages, on est happé par l’atmosphère pesante et captivante que Padura parvient à instaurer. L'homme qui aimait les chiens n’est pas seulement une chronique de l’assassinat de Trotski, mais aussi une réflexion profonde sur le désenchantement politique et les illusions brisées.
Un roman polyphonique d’une grande richesse
Padura excelle dans l’art de la narration polyphonique. Le lecteur est constamment transporté entre le Mexique, la Russie, Cuba, et la France, passant d’un protagoniste à l’autre. Chaque point de vue éclaire un pan de l’histoire, tantôt dévoilant les souffrances de Trotski en exil, tantôt les déchirements de Mercader, manipulé par l’appareil stalinien. Le roman est aussi un miroir tendu à Iván, symbole de la désillusion cubaine, confronté au poids d’une révolution qui, comme celle de Trotski, a dévié de son idéal.
Le style de Padura, riche et évocateur, nous plonge au cœur des tourments psychologiques des personnages. Si Trotski incarne l’utopie brisée, Mercader représente la tragédie de l’homme sacrifié à une cause qui le dépasse. La complexité de leurs rapports au pouvoir, à la trahison, et à l’idéalisme confère une dimension profondément humaine au récit.
Une méditation sur les idéaux et leur effondrement
Ce qui frappe dans L'homme qui aimait les chiens, c’est la manière dont Padura dissèque l’échec des grands idéaux révolutionnaires. Trotski, l’un des pères de la révolution russe, est ici montré sous un jour à la fois majestueux et vulnérable, conscient de son isolement et de l’imminence de sa mort. De l’autre côté, Mercader est une victime consentante, broyée par le système stalinien, devenu un pantin entre les mains des agents du NKVD.
Padura ne cherche pas à rendre ses personnages totalement sympathiques, ni à juger. Il nous confronte à des individus aux prises avec des idéologies qui les dépassent, et c’est en cela que réside toute la force du roman. On y perçoit la fragilité des convictions face à la mécanique implacable de l’histoire.
À travers la figure d’Iván, qui découvre peu à peu la vérité sur l’assassinat de Trotski, Padura dessine aussi une critique implicite du castrisme et des idéaux révolutionnaires cubains. Ce personnage, hanté par la faillite de ses propres idéaux, incarne la perte de foi qui traverse le roman. Cuba, comme la Russie de Staline, est un lieu où les promesses de liberté se sont effondrées sous le poids de la répression.
Un roman magistral sur les illusions brisées
L'homme qui aimait les chiens est un roman ambitieux, à la croisée du roman historique et de la méditation philosophique sur le destin des révolutions. Leonardo Padura y interroge les utopies du XXe siècle, leur grandeur et leur échec, à travers un récit complexe et bouleversant. Ce livre est un miroir tendu aux idéaux brisés, où chaque personnage incarne une facette du désenchantement.
Pour ceux qui s’intéressent à l’histoire, à la politique, ou tout simplement aux tragédies humaines, ce roman est incontournable. Padura parvient à nous captiver, à nous émouvoir, et surtout à nous faire réfléchir sur l’ambiguïté des idéaux et les sacrifices qu’ils imposent.
Note finale : 9/10. Un chef-d’œuvre littéraire où histoire et fiction se mêlent pour offrir un portrait saisissant de l’effondrement des utopies.
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