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S A L V A D O R - La servante et le catcheur, Horacio Castellanos Moya

  • Photo du rédacteur: Frederique Josse
    Frederique Josse
  • 20 sept. 2024
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 23 nov. 2024







Âmes sensibles, petites choses fragiles, passez votre chemin. Ici, ça poisse la sueur de gros mâles crasseux, ça se bâfre sale et ça se cure les dents avec l'ongle noir du petit doigt. Ca dégueule d'injures obscènes, ça pue la haine, ça mate et ça palpe le cul des gamines. Surtout, surtout, ça viole, ça torture et ça tue à en bander.


"Il regarde le derrière rond et ferme de la fille; il s'assoie sur son dos. Puis, des deux mains, il écarte les fesses de la fille et lui crache dans l'anus.

- Ca te dit ? Demande-t-il.

Altamirano fait une grimace.

- Ma salive te dégoûte, petit pédé ? Faites pas chier.


Sur le papier, le Salvador, ce mouchoir de poche d'Amérique centrale, a tout pour faire rêver. Ondulations de sable blond, houles surfeurisantes, îles sauvages, demeures coloniales aux frontons acidulés, volcans classés, forêt tropicale peuplée d'orchidées sculpturales... Rarement description n'a tant tranché avec ce voyage qu'on passe, quasi tout le roman, l'estomac noué, le cœur au bord des lèvres. C'est précisément là toute la force d'Horacio Castellanos Moya. Nous faire ressentir jusque dans les tripes l'ambiance mortifère de San Salvador, la capitale, au plus fort de la guerre civile.

Nous sommes quelque part entre 1980 et 1992. Les militaires au pouvoir se déchirent avec la guérilla marxiste, sur fond de misère sociale et de nauséabondes inégalités.


Homme au bord de la crise de nerfs


Dans une atmosphère saturée de sauvagerie, végète maladivement, entre un coup d'Uzi et un jet de vomi, le Viking. L'ancien catcheur s'est reconverti en flic aux soldes de la junte militaire. Il assure les basses besognes d'un pouvoir paranoïaque et corrompu : surveillance et tabassage à la chaîne des "subversifs", les militants de gauche. Loin d'être, eux aussi, des enfants de cœur. L'ennui, c'est qu'il s'emmerde sec, le Viking. Placardisé par ses chefs parce qu'à deux doigts de clamser, il assure une énième mission en pleine agonie ulcérine. Le service lui vaut de recroiser Maria Elena, une servante qu'il a courtisé, en gentleman catcheur, avant d'être rongé par sa propre répugnance.


C'est que la "marchandise", à qui il doit faire la fête, la femme de ménage la connait aussi. Il s'agit du petit-fils de ses anciens employeurs, des bourgeois engagés pour la cause communiste. Alors pour une fois, ce personnage d'une servilité toute catholique est déterminée à ne pas fermer les yeux. C'est à partir de sa quête pour retrouver le jeune couple enlevé par les "découpeurs" - les escadrons de la mort du gouvernement - que le récit nous traîne à travers la capitale, devenue irrespirable.


La mort aux trousses


"Il y a des tas de gens arrêtés tous les jours. Gendarmerie, police, casernes de l'armée, de l'aviation, de l'artillerie. Plus personne n'est au courant. C'est comme si on était dans une très grande usine; on est débordés".



Dans ce chaos dévorant, la mort semble être la seule valeur partagée entre camps opposés. Les flics ont l'air de cowboys shootés à l'adrénaline du crime, quand les jeunes cocos s'organisent en mode commandos d'élite, alternant émeutes, assassinats ciblés et bus cramés. Le tout au beau milieu d'une population hébétée, dont plus personne n'a que faire, excepté peut-être la douce et clairvoyante Maria Elena qui, dans un geste d'une infinie humanité, rabaisse la jupe d'une marchande de légumes fauchée par les rafales. La mort partout, à chaque page comme à chaque rue, semble nous dire Moya, dont l'audace lui a valu, selon sa maison d'édition, une menace de mort et un exil aux États-Unis.


L'homme qui n'aimait pas les femmes


"Le cochon s'est faufilé vers le fond du bus. La grosse Rita se tord le cou pour le voir et lui jette un nouveau regard haineux. Il faudrait tuer tous ces salopards. Ce qu'elle redoute le plus, c'est qu'il arrive à Marilù ce qui lui est arrivé à elle, qu'on la mette enceinte à treize ans et qu'ensuite on l'oblige à se prostituer".




Elles ont beau se signer, cacher leurs formes sous d'amples tissus, protéger leurs filles des mains baladeuses et des regards lubriques, se forcer à vieillir avant l'heure, enfouir leur désir, les femmes sont bien tristement chosifiées. Dans cet univers de masculinité toxique jusqu'à l'écœurement, n'est un homme que celui qui domine la femme. N'est un Homme que celui qui exerce la violence avec jouissance. La récurrence de la thématique du viol conjugué à d'innombrables "sales pédé", nous plongent dans un univers machiste d'une profonde noirceur, où le seul personnage féminin respecté est celui qui tue.



À lire, d’urgence, pour s’imprégner jusque dans les os d’un aller-retour en dictature où tout n’est que destruction, même au plus près de soi.




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