ITALIE, L'amie prodigieuse, Elena Ferrante
- Frederique Josse
- 23 nov. 2024
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 24 nov. 2024

Dans L’Amie prodigieuse d’Elena Ferrante, Naples est un personnage à part entière, une force brute qui façonne ses habitants. Pour Elena et Lila, la ville est à la fois berceau et piège, une terre où l’espoir est aussi fragile qu’un rayon de lumière filtrant à travers des volets fermés.
"À Naples, la joie est un souffle que la misère balaye sans crier gare," raconte Ferrante à travers les yeux d’Elena. Les rues pavées, les balcons croulants sous le linge pendu, les rires étouffés des enfants, tout respire la tension entre l’ombre de la pauvreté et la lumière des rêves. Elena et Lila, tout au long de leur enfance, marchent sur cette fine ligne entre espoir et fatalité.
La place des femmes : Émancipation ou illusion ?
Dans cette ville où les hommes tiennent le pouvoir, être femme, c’est devoir inventer sa propre liberté. "Naître femme, c’est déjà être condamnée à se battre dans l’ombre," écrit Ferrante en décrivant les luttes silencieuses de Lila et Elena. Lila, avec son intelligence acérée, refuse de se soumettre à ce que la société attend d’elle. Elle défie les règles d’un jeu où tout semble joué d’avance, tandis qu’Elena cherche dans l’éducation une voie d’émancipation, croyant pouvoir échapper à cette société qui l’enchaîne.
Mais à Naples, même l’émancipation semble n’être qu’un mirage. Le poids des traditions et des attentes est omniprésent. Lila, bien que rebelle, se retrouve piégée dans un mariage qui la dévore, tandis qu’Elena, malgré son départ pour le Nord, ressent toujours la force de cette société qui la retient, la tire vers le passé.
Naples, prison et évasion : L'impossible échappée
"Naples, tu crois la fuir, mais elle reste gravée dans tes os, dans chaque fibre de ton être," murmure Elena, tandis qu’elle contemple la silhouette du Vésuve, éternel gardien de la ville. Le volcan, endormi, mais menaçant, incarne cette tension omniprésente, prête à éclater à tout moment. Pour Elena, quitter Naples ne suffit pas à s’en libérer. La ville hante ses pensées, ses décisions, ses rêves. Elle est un écho constant qui lui rappelle d’où elle vient, et qui elle est vraiment. Dans L’Amie prodigieuse, Naples est à la fois une cage dorée et un foyer que l’on ne peut renier. Le Sud, avec ses racines profondes, est aussi un fardeau que chaque personnage porte, même lorsqu’ils rêvent de s’en échapper. Le Nord, quant à lui, représente la promesse d’un avenir meilleur, mais un avenir où l’on est souvent seul, coupé de ses racines.
L’éducation : Une clé qui ouvre des portes… mais lesquelles ?
"L’éducation est le seul chemin pour sortir de l’obscurité, mais cette lumière n’illumine pas toujours tout le chemin," explique Ferrante en parlant du parcours d’Elena. Lila, brillante et révoltée, est forcée de quitter l’école par manque de moyens, illustrant la dure réalité des inégalités sociales. Elena, elle, voit dans l’éducation une échappatoire, mais cette voie ne la libère jamais complètement de l’emprise de Naples et de son passé.
Même en s’élevant socialement grâce à ses études, Elena ne peut échapper à cette impression d’être étrangère à sa propre vie. L’éducation, dans le roman, est une porte qui s’ouvre vers l’avenir, mais le passé reste une ombre indélogeable.
L’amitié comme champ de bataille : Lila et Elena, reflet d'une société en mutation
L’amitié entre Lila et Elena est une danse complexe, à la fois tendre et cruelle. "Entre ces deux femmes, chaque mot, chaque regard est une bataille," écrit Ferrante. Lila, avec sa fougue et son intelligence indomptable, défie constamment Elena, l’encourageant à sortir des sentiers battus, tout en la rappelant toujours à sa condition.
Dans leurs luttes personnelles se reflète le combat d’un pays en pleine mutation. Naples, et plus largement toute la société, est un champ de tension entre modernité et traditions. À travers leur amitié, Ferrante brosse le portrait d’une génération perdue entre deux mondes : celui du passé, avec ses règles immuables, et celui d’un avenir incertain, où tout est encore à construire.
Zoom sur : La violence, reflet d’une fracture sociale profonde
La violence, dans L’Amie prodigieuse, est omniprésente, mais elle dépasse les simples affrontements physiques. "Chaque geste, chaque parole, dans cette ville, est une forme de violence, un rappel constant des fractures sociales qui la divisent," écrit Ferrante. La Camorra, qui règne sur Naples, façonne le quotidien des habitants, créant une atmosphère de tension où la survie est une lutte de chaque instant. Même aujourd’hui, Naples reste une ville marquée par cette violence structurelle, où les inégalités sont profondément enracinées. Ferrante capture cette réalité avec une acuité déchirante, montrant que la violence n’est jamais gratuite, mais le résultat d’un système où les plus vulnérables sont souvent sacrifiés.
Informations sur le livre

Titre : L’Amie prodigieuse (L’amica geniale)
Auteur : Elena Ferrante
Éditeur : Éditions Gallimard (en France) / Edizioni E/O (en Italie)
Date de publication : 2011 (version originale), 2014 (traduction française)
Genre : Roman contemporain, saga familiale
ISBN : 9782070463968 (édition française)
Pages : 429 (édition française)
Contexte et succès :
L’Amie prodigieuse est le premier volume d'une tétralogie retraçant l'amitié complexe et passionnée entre Elena Greco et Lila Cerullo, deux femmes issues d'un quartier pauvre de Naples. À travers leur histoire, le roman dresse un portrait intime de l'Italie de l'après-guerre jusqu'à nos jours, mêlant drames personnels et transformations sociales.
L'œuvre a connu un succès retentissant dans le monde entier, traduite en plus de 40 langues, et a été adaptée en une série télévisée acclamée par la critique. L’identité mystérieuse d’Elena Ferrante, qui reste anonyme, alimente encore aujourd'hui les discussions autour du livre.
Best punchline :
"Naître femme, c’est déjà être condamnée à se battre dans l’ombre."
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