C H I N E - Brothers, Yu Hua
- Frederique Josse
- 20 sept. 2024
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 oct. 2024

Guangtou et Song Gang n’étaient pas simplement deux frères. Ils étaient les piliers d’un même édifice, dressés contre un vent de folie, celui de la Révolution culturelle qui s’abattait sur la Chine. Leur union, presque sacrée, semblait indestructible. Chaque coup porté par le Parti n’était qu’une vague qui se brisait sur leurs épaules solides. Dans les ruelles sombres où les slogans rouges s’écrasaient sur les murs, leurs pas résonnaient avec une certitude : tant qu’ils restaient ensemble, ils survivraient.
Mais les illusions sont fragiles. Peu à peu, la Révolution a pris un autre frère : Guangtou, le plus fougueux, a commencé à brûler du même feu destructeur qui ravageait leur pays. Il voyait en chaque agent du Parti un ennemi à abattre, alors que Song, lui, tentait encore de croire en une justice possible, quelque part au-delà de l’enfer. Leurs idéaux se heurtaient de plein fouet, et le moment où leurs chemins devaient se séparer semblait inévitable.
L’ombre de la Révolution : un fantôme dans chaque ruelle
La Révolution culturelle n’était pas seulement une idéologie, c’était un fantôme omniprésent, dans chaque ruelle, chaque regard, chaque cri de la nuit. Le Parti, avec ses Gardiens Rouges, éradiquait tout ce qui ne rentrait pas dans son moule. Song Gang, l’idéalisme encore chevillé au corps, était témoin d’un effondrement. Il cherchait des réponses dans les yeux des autres, mais tout ce qu’il trouvait, c’était la peur, la trahison. Guangtou, lui, était passé de victime à bourreau. Sa rage l’aveuglait, mais elle le rendait aussi terriblement vivant.
Là où la mort semblait envahir chaque rue, eux continuaient à se battre, d’abord ensemble, puis seuls. La force de ce roman est de vous plonger dans cet univers où l’humanité se noie dans un océan de slogans. La Révolution n’est pas un concept : c’est une maladie qui dévore les âmes.
Une nation en miettes : ce que la Révolution a volé à la Chine
Derrière les destins individuels, Brothers nous parle d’une Chine brisée, éclatée. Song Gang incarne ceux qui ont tenté de maintenir une dignité malgré le chaos. Guangtou, lui, est l’expression de cette colère qui bouillonnait dans les cœurs des oubliés. Le plus déchirant dans ce roman, c’est qu’il révèle à quel point les rêves de justice peuvent être pervertis.
La Chine d’aujourd’hui n’a pas encore fait le deuil de cette époque. En évoquant avec tant de puissance les cicatrices laissées par la Révolution, l’auteur vous plonge dans une introspection douloureuse : que reste-t-il de cette Chine d’hier ? L’espoir, semble-t-il, a été enterré sous les gravats de l’idéologie.
Zoom sur : La mémoire effacée d’une génération sacrifiée
La Révolution culturelle n’a pas seulement brisé des vies, elle a effacé des mémoires. Aujourd’hui encore, ceux qui l’ont vécue ne peuvent en parler sans risquer la censure. Les travaux d’historiens comme Isabelle Rabut et Angel Pino révèlent combien cette période reste taboue dans la Chine contemporaine. Les victimes, souvent silencieuses, portent le fardeau d’un passé que l’on refuse de voir en face.
Dans Liu Hua Brothers, cette mémoire effacée est incarnée par Song Gang, cet homme brisé qui, malgré tout, refuse d’oublier. Le livre nous rappelle que l’histoire n’est jamais figée, et que les fantômes du passé reviendront tant que la vérité restera cachée.
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