CORÉE DU NORD, "Au Pays du Grand Mensonge", Philippe Grangereau
- Frederique Josse
- 24 nov. 2024
- 4 min de lecture

Sous le règne de Kim Jong-un, chaque respiration est une trahison et chaque sourire un masque. La Corée du Nord est bien plus qu’un État totalitaire. C’est une machine à fabriquer du mensonge, une société où tout, des gestes quotidiens aux pensées les plus intimes, est orchestré pour servir une seule vérité : celle du Leader Suprême. Dans "Au Pays du Grand Mensonge," nous plongeons dans la vie d’un jeune homme pris au piège dans cet univers, cherchant désespérément à distinguer la vérité du mirage qui l'entoure.
La routine orchestrée, un mensonge vécu au quotidien
Le roman s’ouvre sur une scène apparemment ordinaire : des citoyens marchant en file indienne, des enfants chantant à la gloire du leader, et des affiches colorées proclamant les succès du régime. Mais très vite, le protagoniste sent que quelque chose ne tourne pas rond. Tout est trop lisse, trop bien contrôlé. Il observe les gestes mécaniques de ses voisins, leurs visages rigides, comme s’ils étaient figés dans un rôle qu’ils ne peuvent jamais abandonner.
"Ici, les rues ne parlent pas. Elles chuchotent des mensonges qu’on finit par avaler."
Les chiffres appuient cette vision. Environ 70 % de la population est affiliée directement ou indirectement à l’armée ou à des organisations de surveillance. Tout est sous contrôle, chaque mot, chaque geste. Selon une étude de Freedom House, la Corée du Nord est classée comme le régime le plus répressif au monde, avec une liberté d’expression notée à zéro. Dans ce pays, même respirer semble une trahison.
L’héritage d’un père et le silence comme dernière arme
Le protagoniste, qui croyait autrefois à la grandeur de son pays, commence à douter. Son père, un ancien héros de guerre devenu une ombre de lui-même, refuse de parler. Il sait que le moindre mot pourrait le condamner. Alors il choisit le silence. Mais ce silence pèse, devient une tension insupportable. Le fils, quant à lui, vacille. Il cherche à comprendre ce qu’on lui cache, mais se heurte à un mur de non-dits.
"Mon père n’avait plus rien à dire. Chaque soir, je regardais ses yeux s’éteindre un peu plus, comme si, à force de silence, il s’effaçait."
La relation père-fils est au cœur de cette histoire. Elle symbolise l’héritage familial, mais aussi le poids insupportable des secrets dans une société où la vérité est dangereuse. Le père, autrefois fier de ses combats pour le régime, ne sait plus où se trouve la limite entre loyauté et désillusion. Il est brisé par un mensonge trop grand pour être supporté.
"Je me suis toujours demandé si mon père avait un jour cessé d’y croire. Mais je ne lui ai jamais posé la question. Je n’ai jamais osé."
Le climax de la tension : un choix impossible
La tension atteint son paroxysme lors d’une scène cruciale : un raid nocturne. Le protagoniste entend des cris venant de la maison voisine. Les agents du régime sont venus chercher un homme, accusé de ne pas avoir montré assez d’enthousiasme lors de la dernière parade. Le héros regarde par la fenêtre, terrorisé. Son père, assis dans l’ombre, ne bouge pas. Il connaît trop bien ce scénario.
"Nous avons entendu les cris. Nous avons fermé les yeux. La peur se lisait sur nos visages. Mais ici, on apprend vite : la peur ne se montre pas."
La montée en tension est palpable. Le protagoniste doit choisir : rester silencieux comme son père, ou prendre un risque immense en se rebellant. Ce moment marque le point de non-retour. Il comprend enfin que dans cette société, il n'y a pas d'échappatoire. Le mensonge n'est pas seulement un outil, il est devenu une prison mentale dont on ne peut s’échapper.
"Le mensonge, ici, est une cage sans barreaux. On y reste enfermé pour se protéger de la vérité."
Zoom sur : Les chiffres de la répression en Corée du Nord
La Corée du Nord est l’un des régimes les plus répressifs du monde. Selon des estimations récentes des Nations Unies, environ 120 000 personnes sont actuellement emprisonnées dans des camps de travail forcé, souvent pour des infractions mineures ou des délits d’opinion. Ces camps, véritables zones de non-droit, sont le symbole de la brutalité du régime. En parallèle, plus de 80 % de la population est obligée de participer à des rassemblements publics glorifiant Kim Jong-un, et toute déviance est punie avec une sévérité implacable. Un rapport de Human Rights Watch en 2023 souligne que la propagande d’État coûte chaque année environ 500 millions de dollars au gouvernement, une somme colossale dans un pays où la majorité des citoyens vit dans des conditions de pauvreté extrême. Cette propagande massive permet de maintenir l’illusion d’un pays fort, alors que la réalité montre un État en faillite morale et économique. Ce décalage entre l’image officielle et la vérité est au cœur du roman, qui démontre comment une nation entière peut devenir prisonnière de ses propres illusions.
Références du livre "Le Grand Mensonge" de Philippe Grangereau

Titre : Le Grand Mensonge
Auteur : Philippe Grangereau
Éditeur : Flammarion
Date de publication : 2003
Genre : Essai / Reportage
ISBN : 978-2080683310
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