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I N D E - L’Équilibre du monde, Rohinton Mistry

  • Photo du rédacteur: Frederique Josse
    Frederique Josse
  • 21 sept. 2024
  • 3 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 oct. 2024





L’art délicat de la survie


Dans L’Équilibre du monde, Rohinton Mistry compose une fresque magistrale de l’Inde des années 1970, en pleine période de l’État d’urgence déclaré par Indira Gandhi. Une période noire, marquée par des dérives autoritaires, la corruption et l’oppression des plus pauvres. Pourtant, dans ce chaos, Mistry parvient à tisser une toile d’histoires profondément humaines, où la survie n’est pas seulement physique, mais aussi émotionnelle et morale.

Le roman suit quatre personnages principaux : Dina Dalal, une veuve indépendante qui lutte pour conserver sa dignité, Maneck, un jeune étudiant en quête de sens, et Ishvar et Omprakash, deux tailleurs issus des castes inférieures, qui rêvent d’une vie meilleure loin des brutalités de leur village d’origine. Chacun est une pièce de cet équilibre fragile, un équilibre qui, comme l’évoque le titre du livre, vacille constamment entre l’espoir et l’injustice, la lumière et l’ombre.


L’Inde des exclus : entre rêves et désillusions


L’Équilibre du monde est avant tout une œuvre sur les marginaux, ceux que le système des castes et la brutalité politique ont relégués aux bords de la société. Ishvar et Omprakash, les deux tailleurs venus des horizons lointains des montagnes, incarnent ce combat acharné pour échapper à leur destinée. Mistry ne les réduit jamais à de simples victimes ; il leur donne une voix, un souffle. Leur travail de confection à domicile chez Dina Dalal est leur seul espoir de survie, leur fragile tentative d’échapper à la mendicité.

Cependant, le monde dans lequel ils évoluent est cruel. Les personnages de Mistry doivent composer avec un système inégalitaire qui les broie lentement. Les figures d’autorité, qu’il s’agisse des riches ou des fonctionnaires, apparaissent souvent corrompues ou indifférentes aux souffrances de ceux qu’elles sont censées protéger. Dina Dalal, elle-même en lutte pour ne pas sombrer dans la pauvreté, devient une mère de substitution pour les deux hommes, leur offrant un semblant de sécurité, bien que temporaire.


Les cicatrices du pouvoir


Au cœur du roman se trouve la critique sociale et politique de Mistry. L’État d’urgence, imposé sous le prétexte de moderniser l’Inde, devient le cadre de dérives autoritaires où les droits humains sont bafoués. Le roman aborde les programmes de stérilisation forcée, les évictions de bidonvilles, et les arrestations arbitraires avec une brutalité qui étreint le lecteur. Mais Mistry ne sombre jamais dans le cynisme. Sa force réside dans cette capacité à montrer la résistance, même dans la douleur. Chaque personnage, bien que marqué par l’oppression, continue de se battre, de rêver, de chercher un semblant de bonheur.

La métaphore de l’« équilibre » que propose Mistry est puissante. L’équilibre du monde, c’est cet espace fragile entre la résilience et l’effondrement. Il ne s’agit pas d’un équilibre idéal, mais d’une constante lutte pour ne pas sombrer, pour maintenir un semblant de dignité face à un système qui fait tout pour la détruire. Les personnages de L’Équilibre du monde sont constamment en équilibre précaire, suspendus entre leurs rêves et une réalité souvent cruelle.


Zoom sur : Le système des castes en Inde


À travers L’Équilibre du monde, Mistry dévoile une Inde déchirée par le système des castes. Ce système millénaire, bien que théoriquement aboli, continue de modeler la société indienne. Les tailleurs Ishvar et Omprakash sont issus des castes inférieures et subissent la violence physique et sociale qui en découle. Ce n’est pas seulement un cadre historique que Mistry expose, mais une réalité qui persiste. Aujourd'hui encore, malgré les réformes et la modernisation, les inégalités demeurent profondément ancrées en Inde. Des études récentes montrent que les castes inférieures, les Dalits (intouchables), continuent de faire face à la discrimination, tant dans l’accès à l’éducation que sur le marché du travail. Le roman devient alors un miroir de ces fractures sociales qui gangrènent le pays et met en lumière la lutte quotidienne de millions d’Indiens pour obtenir justice et égalité dans un système qui les rejette systématiquement.


  • Titre original : A Fine Balance

  • Auteur : Rohinton Mistry

  • Édition française : Albin Michel

  • Traductrice : Françoise Adelstain

  • Date de parution originale (Canada) : 1995

  • Date de parution en France : 2001




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